Filtrer, tamiser et sécuriser un ingrédient clé (1/3)
Chlore, particules en suspension, métaux lourds et autres produits chimiques ou phytosanitaires présents dans l’eau nuisent à la qualité des pains. À chaque problème, sa solution… Ou presque. Zoom sur les dernières innovations en matière de traitement de l’eau de coulage.
« La catastrophe à l’ouverture ! » Fondateur de la boulangerie Haut les pains ! à Lauris (Vaucluse), Pascal Coutaz garde un vif souvenir de son démarrage mouvementé en 2018. « Je n’avais aucune filtration pour mon eau, et mon levain comme mes pains dépérissaient au fil de la semaine… » Avant de reprendre de la vigueur le week-end. « Je le rafraîchissais non pas au fournil mais à mon domicile, situé à Lourmarin, avec une eau non chlorée. »
Après avoir testé et éliminé plusieurs paramètres, il se rend à l’évidence : c’est l’eau du robinet de Lauris qui est à la source de son problème de panification. « J’ai investi dans un kit de filtration de la société Cybèle-Maïa Nature, installé sur mon arrivée d’eau générale. À la clé : une meilleure fermentation, avec un vrai impact sur le développement et le goût de mes pains », sourit l’artisan, qui lui associe depuis des cartouches filtrantes de son fournisseur historique pour purifier l’eau en éliminant les matières en suspension, et un filtre Carbon Block développé par la société Cryo&Concepts (Aix-en-Provence) combinant filtration et dynamisation de l’eau par micro-oxygénation.
Premier élément visé : le chlore, utilisé en France pour désinfecter l’eau du robinet et ennemi n° 1 du pain. « Néfaste pour la santé à haute dose, le chlore élimine les bactéries et micro-organismes contenus dans l’eau sans distinction. Cela altère aussi l’activité des levures et des bactéries présentes dans le microbiote boulanger, vivant par nature », pointe Jean-Mathieu de Rigaud, expert en traitement des eaux et fondateur de Cryo&Concepts.
Nombreux sont les artisans non-équipés de systèmes de filtration à sentir une odeur chlorée en ouvrant leur robinet. Odeur dont l’intensité varie suivant les régions de France, la qualité de l’eau fluctuant dans l’Hexagone. Il convient de se renseigner sur celle de son réseau (le site www.eaupotable.sante.gouv.fr compile les résultats du contrôle sanitaire de l’eau du robinet commune par commune) pour sélectionner la solution de filtration la plus adaptée à son environnement.
À Lille, par exemple, la boulangerie Brood a choisi « une double filtration au charbon actif et à la céramique pour éliminer les agents pathogènes, les résidus solides, les métaux lourds, l’odeur et le mauvais goût du chlore », détaille Sarah Cnudde, sa cofondatrice. « La qualité de l’eau joue sur les qualités organoleptiques et le développement des pains. En fin de cartouche, à changer tous les six mois pour un budget d’environ deux cent cinquante euros, on le sent direct : nos pâtes sont moins souples, le pain sèche plus vite. »
La filtration permet aussi de stabiliser la qualité de l’eau sur l’année, pour des résultats plus réguliers. « Le littoral peut être soumis à de fortes variations de population, et donc de traitement de l’eau, suivant les saisons », rapporte Léo Forest-Agostini de la boulangerie Le Fournil de Pepette aux Sables-d’Olonne (Vendée), qui a opté pour la solution Cryo. « Au goût, il y a une différence et cela permet de sécuriser notre levain. »
Reminéralisation sur mesure
« Les modes de filtration fluctuent en fonction de la localisation mais également de la consommation d’eau », précise Alexandre Gassine, responsable marchés chez BWT France water+more. Partenaire des Ambassadeurs du pain et du Paris Coffee Show (lire page 52), la société propose une large gamme de solutions professionnelles adaptées aux besoins spécifiques des artisans, avec des tamis ou des filtres de différentes finesses (exprimées en microns), pour retenir des particules et autres indésirables. À remplacer au moins tous les ans, ils peuvent être associés à d’autres technologies suivant les résultats recherchés.
Basée sur une membrane haute performance ne laissant passer que les molécules d’eau, l’osmose inverse est actuellement le procédé de filtration le plus poussé. Il en découle « une eau pure, non appropriée à la consommation en l’état », remarque Alexandre Gassine. Pas plus qu’à la panification. Avant de l’utiliser, il convient en effet de la reminéraliser a minima pour lui redonner des propriétés intéressantes en boulangerie.
Si une eau de coulage ne doit pas être dénuée de calcium et de magnésium, leur trop forte concentration n’est pas souhaitable non plus, « ces minéraux impactant le goût final du pain en prenant le pas sur les arômes céréaliers », estime Guillaume Etlin, créateur de Bread Revolution Organization, entreprise délivrant des formations à la panification au levain. Fondateur de la Boulangerie Maurice à Toulouse, Baptiste Chardin s’est justement lancé dans une expérimentation avec BWT water+more en vue de comparer différents traitements et évaluer leur impact sur le pain, analyses à l’appui. Le but : « Mettre au point un système de filtration dédié à la boulangerie. » Depuis cet été, il dispose ainsi d’un véritable “bar à eaux” (à encombrement maîtrisé) dans son laboratoire urbain de 34 m2, avec un osmoseur et plusieurs cartouches, en vue de tester un panel de combinaisons. Le bémol : l’osmose inverse génère un taux élevé de perte en eau.
Propriétés dynamiques de l’eau
Après la purification et la reminéralisation, l’étape suivante consiste éventuellement à revitaliser son eau de coulage, pour enrayer l’effet de la stagnation dans les canalisations et lui rendre ses propriétés dynamiques. À cet effet, le boulanger Alex Croquet a installé un système de “vasques vives” en céramique afin de créer par la forme un effet de vortex ou de tourbillon.
Marque du groupe Pavailler Solution — spécialisé dans le matériel de boulangerie-pâtisserie —, Bertrand Puma a récemment lancé un système innovant de filtration au travers de filtres cycloniques remplis de pierres volcaniques et de charbon actif, et de dynamisation (mécanique et magnétique) de l’eau potable disponible sur deux modèles baptisés Torrent et Volute (coût : entre 3 000 et 8 000 € d’investissement, incluant huit ans de consommables).
La promesse du fabricant ? Une fermentation plus active et un réseau de gluten mieux tissé permettant une hydratation plus élevée des pâtes sans coller, avec un goût rehaussé. « J’ai divisé par deux ma quantité de levure sur ma tradition et diminué mon taux de sel à treize grammes par kilo de farine », témoigne le Meilleur ouvrier de France boulanger Thierry Meunier, installé à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Ce dernier a opté pour le modèle Volute, à placer en tête de pétrin. Le modèle Torrent, lui, peut être posé directement sur l’alimentation générale du fournil car il inclut un dispositif contre le tartre permettant de se passer d’adoucisseur.
Taux d’hydratation poussés
D’autres équipements sont encore susceptibles d’influer sur les paramètres de l’eau de coulage, tels que les refroidisseurs et les doseurs-mélangeurs (Sorema, Baktec) visant à maîtriser sa température. Dans le Vaucluse, Pascal Coutaz a investi dans ce matériel « pour obtenir une pâte idéalement à 24 °C en fin de pétrissage », avec un taux d’hydratation variable suivant les farines (autour de 86 % pour le blé) et son environnement. « L’eau amorce toute l’activité enzymatique. Trop chaude, elle risque de tuer les micro-organismes. Trop froide, elle ralentit la fermentation. Sa dureté entre aussi en ligne de compte », rappelle le formateur Guillaume Etlin, également associé de l’expert en panettones, Christophe Louie.
Dans son atelier parisien, équipé de la solution Cryo (pour un coût de 1 000 à 1 200 € par an), il pousse ses taux d’hydratation jusqu’à 95 % sur un pain complet au levain et jusqu’à 120 % sur une ciabatta, par exemple. Et de préciser : « Une pâte bien hydratée, à l’appréciation du boulanger, optimise la souplesse et l’alvéolage. »
À Toulouse, Baptiste Chardin se passe de refroidisseur, pour « une panification au sensible, adaptée au levain et au pétrissage à la main ». Preuve que le savoir-faire de l’artisan reste une variable primordiale en boulangerie.
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